[Entretien - Christophe Pradervand, Papirec] - « En mutualisant les transports, tout le monde s’y retrouve »

[Entretien - Christophe Pradervand, Papirec] - « En mutualisant les transports, tout le monde s’y retrouve »

Papirec a été l’un des précurseurs dans l’optimisation des flux logistiques : la société active dans la récupération de vieux papiers utilise des camions qui sont venus à Genève remplis d’autres marchandises, afin d’éviter les trajets à vide. A la clé : moins de kilomètres inutiles et une substantielle baisse de coûts. 

Explications avec Christophe Pradervand, responsable de Papirec à Genève, société qui emploie une vingtaine de personnes à Carouge.

Comment fonctionne cette mutualisation de véhicules ?

Christophe Pradervand. Nous avons optimisé nos flux logistiques en travaillant en partenariat avec trois sociétés de transport afin que les camions roulent toujours avec de la marchandise dedans. Ce n’est pas nous qui imposons la date et l’heure du transport, nous leur demandons par exemple quand un de leurs camions vient de Suisse allemande à Genève. Nous nous arrangeons alors avec le transporteur et organisons notre production dans la mesure du possible. Au lieu de vouloir que le véhicule vienne disons le mardi à 7h00 du matin, nous acceptons qu’il arrive le mercredi à 10h00. Nous avons ainsi pu baisser fortement nos frais de transports, car le camion vient à Genève plein, il décharge sa marchandise, puis repart avec le papier que nous avons collecté et trié pour l’amener dans le canton de Lucerne à l’usine de Perlen, l’une des dernières fabriques de papier en Suisse. Cette dernière va transformer ce vieux papier en papier recyclé.

Quelle économie faites-vous ainsi ?

C.P. Le coût de transport de papier a diminué de près de 50%. Et il faut aussi voir le côté environnemental : ainsi, les camions ne roulent pas à vide. D’ailleurs, étant actif dans le développement durable, nous aimerions privilégier le transport ferroviaire, mais ce n’est pas toujours facile. Le papier est en effet transporté dans des bennes qui appartiennent à la papeterie et qui ne sont pas bien adaptées au train. Une autre raison tient au fait qu’il ne reste plus que trois fabricants de papier en Suisse, dont la capacité de production ne suffit pas pour tout le papier helvétique. Une partie du papier que nous collectons et trions part donc en Europe, où les usines sont nettement moins bien reliées au train que dans notre pays.

Quelles sont les contraintes pour une entreprise qui aimerait recourir à une telle mutualisation des véhicules ?

C.P. Tout d’abord, ce type de partenariat n’est possible que si l’entreprise ne travaille pas avec des produits périssables, car sinon cela pose un problème quant à leur fraîcheur. Ensuite, il faut avoir la capacité de stocker la marchandise en attendant le véhicule. Ce n’est donc pas destiné aux sociétés fonctionnant en flux tendus. Enfin, il faut instaurer une très bonne communication entre les partenaires. Le transporteur doit immédiatement informer le donneur d’ordre s’il y a un problème sur la route et que le véhicule sera en retard. Quant à la société, elle doit se montrer souple. Mais quand tout est bien rodé, tout le monde s’y retrouve. Cette mutualisation a vraiment été une grande découverte pour nous.

Comment vous était venue l’idée ?

C.P. C’était il y a quelques années. Nous avions développé un partenariat avec une société française qui travaillait avec l’Espagne et qui cherchait à remplir ses camions pour des retours. Or ils avaient besoin de cartons, car les producteurs de fruits et légumes avaient réalisé que les légumes qu’ils faisaient pousser se conservaient mieux ainsi que dans du plastique. Ils ont alors construit une fabrique de carton que nous alimentions avec le papier et le carton que nous avions collectés. En moyenne, trois à quatre camions partaient pour l’Espagne avec notre papier et ceux-ci revenaient avec des fruits et des légumes. Maintenant, ces flux ont fortement diminué car l’économie espagnole est repartie et génère donc assez de papier à recycler. Cela dit, entre temps, le concept s’est fortement développé. Il est toujours plus rare que les camions roulent à vide, sauf dans des cas spécifiques, car un camion vide coûte cher : l’entreprise paie des taxes, des amortissements et le salaire du chauffeur sans rien gagner.

Revenons au transport ferroviaire. N’y aurait-il pas la possibilité de travailler davantage avec le train ?

C.P. Quand notre bâtiment (qui avait brûlé l’an dernier) sera à nouveau opérationnel (en juin), nous pourrons réutiliser des wagons pour transporter le PET à Yverdon, chez RC Plast. Nous essayons d’utiliser le train autant que possible, mais regrettons que les CFF ne fassent pas plus d’efforts : aujourd’hui, à la Praille, il y a moins de wagons et de personnel, ce qui ne nous facilite pas la tâche et fait que le service n’est pas la hauteur du prix. Cela dit, la situation est en train de s’améliorer et nous espérons que cette éclaircie va se poursuivre, car actuellement, il faut vraiment avoir envie de travailler avec le train...

Aujourd’hui, la planète connaît un gros problème en raison des tonnes de plastiques qui se retrouvent dans les océans. En tant que spécialiste du recyclage, quelle solution verriez-vous ?

C.P. Il y a deux écoles, l’une estime qu’il faudrait totalement arrêter le plastique. Je ne pense pas que ce soit faisable, car aujourd’hui le plastique est partout et il serait très difficile de s’en passer. La seconde estime qu’il faut le consommer intelligemment et le recycler tout aussi intelligemment. Le problème tient au fait qu’il n’y a eu aucune anticipation à large échelle pour le recyclage de cette matière et que l’on se retrouve désormais avec des montages de plastiques dont on ne sait que faire.

Avez-vous essayé de récupérer du plastique ?

C.P. Nous avons récolté et trié le plastique pendant un an. C’est compliqué et onéreux, car il y a énormément de qualités différentes. Une fois trié, nous avons eu beaucoup de peine à le revendre, car très peu d’usines le retraitent. Il faut dire que le processus est assez complexe : il faut le broyer, le chauffer et en faire des granulés qui servent ensuite à refaire des pièces en plastique. Economiquement, cela n’est pas intéressant, mais on économise de la matière première, on a moins de déchets et on responsabilise les consommateurs.

Nous avons par exemple pu reprendre ce plastique aux carrossiers, car il y a beaucoup de plastique dans les voitures. Mais après un an, nous avons arrêté le tri car ce n’était pas viable économiquement.

Les Etats pourraient-ils jouer un rôle pour favoriser le recyclage du plastique ?

C.P. Oui, d’une part, ils pourraient instaurer une taxe de recyclage, comme ils le font sur les bouteilles en PET. Aujourd’hui en Suisse, une taxe est prélevée sur chaque contenant de boissons en PET vendu, ce qui finance le recyclage. Ensuite, il pourrait y avoir des incitations afin de favoriser la création d’entreprises de retraitement de plastique, car c’est un maillon qui manque complètement. Ce n’est pas l’interdiction des sacs plastiques et des pailles qui, seule, suffira à résoudre le problème.

Entretien et rédaction réalisés par Aline Yazgi pour l'équipe Genie.ch.

Retrouvez plus d'informations sur la thématique de la mutualisation du transport de marchandises ici. 

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