[Entretien Ebba Lepage - Lombard Odier ] « Nous estimons que la façon dont l’entreprise se comporte est aussi importante que ses produits ou services »

[Entretien Ebba Lepage - Lombard Odier ] « Nous estimons que la façon dont l’entreprise se comporte est aussi importante que ses produits ou services »
 

Ebba Lepage, responsable de la Corporate Sustainability du Groupe Lombard Odier, gère tous les aspects des pratiques de l’entreprise en matière de durabilité, hors finance et investissement durable. Lombard Odier, active dans la gestion de fortune et d’actifs, a publié il y a quelques mois son premier rapport de soutenabilité et a obtenu en 2019 la certification B Corp*. Cette banque en mains familiales depuis plus de 220 ans y expose clairement sa vision et ses engagements.

 

-Dans son « Rapport de soutenabilité 2019 », Lombard Odier indique que le seul modèle d’activité qui puisse assurer une réussite sur le long terme est celui d’une économie CLIC : Circular (circulaire), Lean (efficient), Inclusive et Clean (propre) et non plus WlLD : Wasteful (gaspilleur) Idle (déficient) Lopsided (inéquitable) Dirty (sale), sur lequel repose notre économie actuelle. Pouvez-vous expliquer quelques grands principes dont pourraient s’inspirer les autres entreprises de services ?

-Ebba Lepage. Le modèle économique actuel, qui n’est pas soutenable, doit amorcer la transition vers une alternative plus durable et régénérative. Les forces économiques et de marché, les consommateurs, la réglementation mais aussi l’innovation technologique nous poussent vers un changement rapide. Pour assurer cette transition et rester compétitives, les entreprises doivent bien appréhender les défis de durabilité auxquels elles sont confrontées et s’adapter en conséquence. Il ne s’agit pas seulement de vendre des produits plus verts, cela passe également par la mise en place de cadres de responsabilité sociale. Nous estimons que la façon dont l’entreprise se comporte – envers ses clients et la communauté - est aussi importante que ses produits ou services.

- Par quoi est-ce le plus simple de commencer pour une entreprise de service désirant être plus durable ?

-E.L. S’attaquer aux déchets permet de toucher un maximum de personnes. Les collaborateurs scrutent avec intérêt ce que leur entreprise entreprend à ce sujet, même si chez nous, par exemple, les déchets ne sont responsables que d’une faible proportion d’émissions carbone. Quand on s’attaque au plastique, à la consommation de papier, aux déchets du restaurant d’entreprise, etc. les collaborateurs le constatent immédiatement. C’est ainsi que nous avons mis en place une initiative interne qui vise à éliminer le plastique non réutilisable et une autre qui vise à réduire l’usage du papier. Aujourd’hui, plusieurs unités ont intégré ces politiques dans leur mode de travail et certaines ont diminué leur consommation de moitié. Nous travaillons aussi sur l’archivage digital, ce qui permet de nous préparer pour notre nouveau siège qui sera le plus économe possible en papier.

-Le papier, justement : le secteur des services en est souvent très gourmand. Quelles mesures prenez-vous pour en limiter la consommation ?

- E.L. Il y a quelques astuces relativement simples. Ainsi, quand nous voulons imprimer un document, la copie ne sort pas directement : il faut aller à l’imprimante, badger, et si la personne ne l’a pas fait après 24 heures, l’ordre est supprimé. Cela évite les impressions dont on n’a pas besoin, or c’est ce qui arrive fréquemment.

Autre exemple : nous partageons les documents numériquement sur des écrans plutôt que de les imprimer lors des réunions.

Enfin, nous avons notre propre imprimeur à l’interne, qui a obtenu au début 2020 le label écologique Imprim’Vert, une superbe initiative impliquant notamment la non utilisation de produits toxiques. Par ailleurs, 100% de nos déchets papier sont recyclés.

-Comment intégrez-vous les principes de l’économie circulaire dans votre mode de fonctionnement ?

- E.L. C’est une réflexion en cours qui sera pleinement déployée avec notre futur siège à Bellevue. Aujourd’hui, nous occupons cinq bâtiments disséminés dans le canton et il est difficile d’établir une vraie circularité.

Cela dit, dans notre bâtiment de Lancy, 80% du chauffage est circulaire. Cette innovation a été mise en place il y a quelques années déjà : le chauffage est issu de la chaleur dégagée par les serveurs informatiques. Nos ingénieurs ont mis en place ce système, mais peu d’employés étaient au courant. Je trouve qu’il s’agit d’un bon exemple de ce qui est réalisable et qui a de l’effet sur l’empreinte carbone, la consommation d’énergie et les coûts.

-Quelles sont les principales difficultés quand on met en place une stratégie de durabilité ?

- E.L. Les domaines tangibles, tels les déchets ou le plastique, sont aisément compréhensibles et suscitent une forte adhésion. L’impact des voyages d’affaires demeure par exemple moins perceptible et se heurte aux habitudes. Or c’est là que le levier en termes de diminution d’empreinte carbone est le plus important dans une industrie comme la nôtre qui implique de nombreux déplacements.

Nous avons décidé d’obliger les voyages en train au détriment de l’avion quand le rail est compétitif en termes de temps. Une telle politique nécessite une communication claire afin d’accompagner l’évolution des comportements.

-En parlant d’empreinte carbone, en 2019, Lombard Odier a fait calculer la sienne, en utilisant les normes du protocole sur les gaz à effet de serre (GES). Est-ce que vous conseillez cette démarche aux autres sociétés ?

- E.L. Oui, je la recommande car une telle mesure permet de dresser un état des lieux et d’établir une feuille de route. À partir du calcul de son empreinte carbone, l’analyse qui en découle permet de poursuivre la formalisation de sa stratégie environnementale. Nous avons réalisé un bilan carbone dans presque la totalité de nos bureaux, soit 28 entités dans 25 pays. C’est utile et cela donne aussi des informations sur les politiques des différents pays en la matière. Ainsi, certains ne disposent pas d’énergie renouvelable, d’autres ne trient pas les déchets, etc.

-Quels sont les principaux enseignements tirés de cette manière de procéder?

- E.L.  Des informations détaillées dans chaque bureau sont nécessaires pour obtenir l’engagement de tous les collaborateurs. Une analyse de chaque site permet d’amorcer le dialogue, de montrer ce qui concerne directement les collaborateurs. Certaines entités sont très sensibles à la durabilité et ont déjà pris des initiatives sans forcément en parler largement. Notre idée est de montrer toutes ces initiatives, car il s’agit d’un cercle vertueux.

-Il ressort de ce bilan que 56% des émissions sont dues aux voyages professionnels. Comment concilier le maintien d’une relation étroite avec vos clients, ce qui implique de nombreux voyages d’affaires, et la claire volonté de votre banque de réduire ses émissions carbone ?

- E.L. Nous sommes conscients de l’incidence environnementale de ces déplacements et avons une politique de voyages assez stricte, comme expliqué précédemment. Au cours des deux dernières années, les collaborateurs ont ainsi effectué 17% de trajets en train supplémentaires et 15% de trajets aériens en moins. En raison du covid-19, plus personne ne voyage et les contacts passent par des vidéoconférences, moyen que nous encouragions déjà avant la pandémie. Cette année sans précédent a bouleversé les habitudes et a notamment accéléré l’adoption d’outils digitaux. Nous estimons que certains clients souhaiteront poursuivre en partie ces rencontres de manière virtuelle lorsque la situation sanitaire se sera améliorée, car ils apprécient ce moyen qui permet notamment d’impliquer aisément d’autres membres de leur famille.

Nous essayons également de voyager plus efficacement, en regroupant les séances sur un jour ou deux, plutôt que d’effectuer deux déplacements. Nous en parlons avec nos clients, qui sont généralement des entrepreneurs confrontés aux mêmes défis.

-Les sentez-vous sensibles à cette problématique ?

- E.L. Oui, nous sentons une plus grande prise de conscience. D’ailleurs, de plus en plus de clients demandent à parler de la certification B Corp* et me posent des questions très précises. Ils sont toujours plus nombreux à y penser.

-Autre poste important en termes d’émissions de CO2, la consommation d’énergie. Qu’avez-vous entrepris ou allez entreprendre pour diminuer cette source d’émissions ?

- E.L. La totalité de l’électricité consommée dans nos bureaux à Genève est renouvelable.

Ces dernières années, nous avons réussi à diminuer significativement notre consommation, soit -16% sur trois ans, avec les gestes de tous les jours, tels qu’éteindre la lumière en partant, éteindre tous les ordinateurs plutôt que de les mettre en veille, remplacer les lumières par des LED, etc. Ce sont des actions toute simples, mais dont la somme génère une vraie différence.

Nous allons continuer à rappeler leur importance aux collaborateurs, même si durant les deux prochaines années, elles n’engendreront plus de diminution importante, car nous avons déjà réalisé la très grande majorité des économies potentielles. Par contre, notre nouveau siège permettra de nouvelles réductions.

-Concernant les fournisseurs, vous avez mis en place un code de conduite exigeant qu’ils alignent leurs pratiques opérationnelles sur les principes du Pacte mondial. Pouvez-vous développer ?

- E.L. L’introduction d’un code de conduite fournisseurs renforce les exigences ; nous y listons nos attentes en termes de responsabilité, de conduite éthique et environnementale. Il se peut qu’un fournisseur soit confronté à une problématique dans l’un de ses domaines. Dans ce cas, le dialogue et la collaboration avec l’entreprise afin qu’elle adapte ses pratiques a pour nous plus d’impact que de rompre la relation. C’est ainsi que l’on peut faire changer les choses.

-Si vous deviez donner un conseil aux entreprises qui veulent se lancer dans une démarche environnementale, lequel serait-il ?

- E.L.

L’engagement des collaborateurs est primordial pour conduire le changement. L’entreprise doit obtenir l’adhésion de ses employés grâce à une politique de responsabilité sociale et environnementale claire. Cela passe par de l’information et une sensibilisation constante.

Aujourd’hui, chaque individu recycle ses déchets dans le cadre privé, se questionne sur sa manière de consommer et son impact sur la planète. II est légitime qu’il en attende de même de son entreprise. À elle de démontrer qu’elle partage les mêmes préoccupations.  

-Le futur siège mondial de votre banque, qui se trouvera à Bellevue et qui devait être opérationnel en 2023, se veut responsable au niveau environnemental. Pouvez-vous détaillez les principaux axes ?

- E.L. Au niveau de l’énergie, notre siège sera connecté au réseau GeniLac** (ndlr : une solution thermique 100% renouvelable issue de l’eau du lac qui permet de rafraîchir et chauffer le bâtiment) et sera doté de 300 m2 de panneaux solaires. L’eau de pluie sera récupérée pour répondre à une partie des besoins du bâtiment. Des pompes à chaleur et une isolation de 40% supérieure à la norme SIA sont également prévues. Un soin particulier est également apporté au vitrage, les verres font parfois 6 centimètres d’épaisseur pour optimiser la lumière et la qualité thermique.

En matière de biodiversité, nous allons planter 150 arbres, soit le triple que le terrain en comptait initialement, installer des ruches et des hôtels à insectes. Nous mettrons également des plantes – indigènes – à l’intérieur du bâtiment. Les zones de pleine terre sont également au centre du projet et des prairies seront créées.

En termes de mobilité, les déplacements des collaborateurs font l’objet d’une grande attention et le Groupe est soucieux de mettre en place une politique de mobilité visant à promouvoir l’utilisation des transports publics et les déplacements en deux roues, en particulier en vélo.

Nous nous sommes engagés à créer 440 places vélo et à offrir toutes les facilités pour ce type de déplacement (vestiaires, douches, chargeurs électriques, service d’entretien pour vélos, etc…). Nous prévoyons également la création de passerelles ainsi que de pistes cyclables en collaboration avec les autorités. Par ailleurs, la création d’une navette fluviale pour relier les deux rives du lac fait l’objet de discussions avec les communes et l’Etat.

-Et qu’en est-il de l’énergie grise issue de sa construction ?

- E.L.

Notre réflexion a débuté bien avant le début de la construction. Nous visons l’obtention du plus haut niveau de trois certifications (Minergie-P, BREEAM et le standard SNBS) aux contraintes très strictes y compris pendant la construction, cela nous aide à prendre les bonnes décisions.

Entre elles, ces trois certifications couvrent un large éventail de domaines : énergie, utilisation de l'eau, qualité d’air, matériaux, impact sur l'environnement pendant la construction, impact sur l'environnement après la construction, bien-être des employés, interactions avec les communautés autour de notre bâtiment, trajets domicile-travail, etc.

Concernant la limitation de l’énergie grise, nous utilisons du béton recyclé quand cela est techniquement possible, mais encore faut-il qu’il provienne de la région, sinon ce ne serait pas durable. Nous intégrons également une partie des matériaux excavés. Le chantier est mené par des entreprises genevoises et romandes, ce qui favorise la circularité dans la chaîne d’approvisionnement. Nous réfléchissons également aux matériaux qui seront utilisés dans la structure et dans chaque étage. Idem pour le bois : nous regardons leur provenance et quel type va être utilisé, y compris pour les meubles.

 -Une fois terminé, le bâtiment sera-t-il neutre énergétiquement ou à énergie positive ?

- E.L. Notre objectif est d’avoir à terme un bâtiment énergétiquement neutre. Ce ne sera pas le cas au début, la technologie à ce jour ne le permettant pas pour un bâtiment de cette taille, mais comptons sur les innovations futures pour y parvenir. Nous avons mandaté des experts pour calculer l’empreinte carbone de notre futur siège. Les résultats, attendus en 2021, nous permettront d’établir plus précisément nos plans de réduction d’empreinte carbone

-Vous êtes un des acteurs majeurs en matière de finance durable. Vos clients sont-ils demandeurs d’investissements dans l’économie circulaire ?

- E.L. Je ne m’occupe pas du tout des investissements. Mes collègues ont lancé le « Natural Capital » fund en novembre. Cette stratégie cible des opportunités d’investissement qui accélèrent la transformation vers une bioéconomie circulaire et un modèle industriel plus efficient. Elle a rencontré un grand succès, l’intérêt et la demande pour ce type d’investissement sont en forte croissance.

*La certification B Corp est une certification qui mesure toute la performance sociale et environnementale d'une entreprise (impact des opérations, du modèle d’affaires etc...).

**Pour en savoir plus sur le projet Genilac, trouvez plus d'informations ici et ici

Pour en savoir plus sur Lombard Odier, cliquez ici

Entretien et rédaction réalisés par Aline Yazgi pour l'équipe Genie.ch (publication le 22.02.2021).

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