[Entretien Franziska Barmettler - IKEA Suisse] « Si l’on veut diriger une entreprise, il faut prendre maintenant des mesures en faveur de l’environnement »

[Entretien Franziska Barmettler - IKEA Suisse] « Si l’on veut diriger une entreprise, il faut prendre maintenant des mesures en faveur de l’environnement »

Franziska Barmettler, Head of sustainability d’IKEA Suisse, détaille la stratégie en termes de durabilité du groupe mondial : accent mis sur la circularité, entrée sur le segment de la deuxième main, essais en matière de location de meubles, encouragement à la réparation, etc. Les chantiers sont nombreux afin d’intégrer la durabilité dans toute la chaîne de valeur. Avec pour objectifs 2030 : la volonté d’être un groupe climatiquement positif qui utilise exclusivement des matériaux recyclés ou recyclables.

 

-Vous êtes à la tête de la durabilité pour IKEA Suisse. La thématique est très présente dans votre organigramme, puisque la CEO pour la Suisse, Jessica Anderen, est également la Chief Sustainability Officer (CSO)…

- Franziska Barmettler. C’est vrai pour la Suisse, mais aussi pour les autres entités nationales du groupe. Depuis deux ans, les directeurs des pays endossent également le rôle de CSO. Cette double fonction permet d’assurer que la durabilité fait véritablement partie de la stratégie globale et qu’elle est intégrée dans tout ce que nous faisons. Tous les managers doivent avoir des indicateurs de performance sur cette thématique et des objectifs en matière de durabilité. Nous estimons en effet que la durabilité doit faire pleinement partie de l’économie.

-Le groupe IKEA a annoncé une stratégie ambitieuse en matière de circularité et de circuits courts. Comment cette stratégie globale est-elle déployée localement ?

-F.B. Notre stratégie en la matière est basée sur trois piliers. Les deux premiers (l’éco-conception et l’utilisation d’ici 2030 uniquement de matières recyclables ou renouvelables pour fabriquer l’intégralité de nos produits) ne concernent pas la Suisse, car nous ne créons ni ne fabriquons ici nos produits.

En revanche, le troisième pilier est plus intéressant pour notre pays : il s’agit de permettre aux consommateurs de donner une nouvelle vie aux produits. Nous avons commencé il y a plus de deux ans à racheter les meubles de deuxième main lors du « Buy Back Friday ». Et dès le mois de juin, nos magasins, dont celui de Vernier, disposeront de « Circular Hubs », à savoir d’endroits dédiés où nous vendrons des articles usagés.

Ainsi, à Genève, nous avons des partenariats avec des entreprises sociales locales qui réparent nos articles ou qui les « upcyclent » .

-Quel chiffre d’affaires réalisez-vous avec les articles de deuxième main ?

-F.B. Il est encore très bas, moins de 5%. Mais cette proportion est en train de croître.

-Avez-vous des idées pour dynamiser ce segment ?

-F.B. Nous voulons rendre ce service plus attractif, par exemple en le proposant en ligne. Nous avons d’ailleurs commencé à collaborer avec des magasins en ligne et sommes en train de modifier notre plateforme afin qu’il soit plus simple de rapporter des produits.

-Et pour les réparations ?

-F.B. Il est déjà possible aujourd’hui d’obtenir gratuitement les pièces détachées dans nos magasins et de les commander en ligne.

-Vous offrez également la possibilité à vos clients de rendre les produits dont ils ne sont pas satisfaits ou de tester un matelas pendant trois mois. Que faites-vous avec ces articles qui vous sont rapportés ?

-F.B. Pour les grands meubles, nous regardons leur état : s’ils sont irréprochables, nous les revendons, sinon, nous les transférons dans un magasin de deuxième main ou, désormais, dans notre « Circular Hub ». Pour les matelas, nous les nettoyons, vérifions leur qualité, puis les revendons uniquement dans un « Circular Hub ». Cela dit, en général, la très grande majorité des gens qui achètent un matelas chez nous le gardent. Le fait de savoir qu’ils peuvent le rendre est un bon argument, car il les rassure sur la qualité.

-Est-ce que votre stratégie en matière de durabilité est déclinée différemment selon les pays en raison de paramètres locaux spécifiques, tels que la disponibilité de matériaux, les habitudes, etc.

-F.B. En général, notre approche est globale. Toutefois, sur certains points, notre stratégie peut être locale. En matière d’énergie renouvelable, notre stratégie dépend ainsi des pays. Par ailleurs, ce qui concerne la nourriture et les déchets alimentaires relève en grande partie d’approches locales. Cela dit, la réponse mériterait d’être développée beaucoup plus, car il y a énormément à dire à ce propos. Je pense que les approches locales vont gagner en importance.

-Puisque vous mentionnez les déchets alimentaires, comment les traitez-vous à Vernier, et de manière plus large quelle y est votre stratégie concernant les déchets ?

-F.B. Comme partout ailleurs, nous voulons d’abord réduire nos déchets. A toutes les étapes, nous demandons à nos employés de les trier, puis de les valoriser ou de les recycler. Notre taux de recyclage à Vernier est de 86%. Concernant plus précisément les déchets alimentaires, nous les pesons pour connaître exactement la quantité et pouvoir travailler la problématique. Notre restaurant a un partenariat avec l’application « Too Good To Go », qui permet de valoriser nos menus en fin de journée. Nous menons également des campagnes de sensibilisation pour limiter le gaspillage alimentaire. Enfin, les déchets qui restent sont transformés en biogaz.

-Dans certains pays, vous offrez la possibilité aux entreprises de leur louer des meubles. Est-ce que vous appliquez aussi au marché suisse ce modèle d’affaires lié à l’économie de fonctionnalité, puisque l’idée est ensuite de nettoyer et réparer les meubles retournés afin de les proposer ailleurs ?

-F.B. Oui. Nous avons choisi différents types de publics en fonction des pays afin de voir si l’intérêt existait pour ce genre de solutions. En Suisse, nous avons testé cette offre de location de meubles auprès des PME il y a deux ans et nous sommes en train d’évaluer les résultats. Nous réfléchissons également à la possibilité d’avoir un modèle similaire auprès de la clientèle non professionnelle.

-Sans connaître les résultats définitifs, pouvez-vous dire s’il y a eu de l’intérêt ?

-F.B. Oui, nous avons perçu un intérêt en Suisse. Ce test revêt un intérêt à un autre titre : il révèle un changement dans la manière d’innover. Avant, l’innovation se pensait derrière des portes fermées. Aujourd’hui, nous essayons d’innover de manière ouverte : tout le monde voit ce que nous faisons, et nous pouvons en discuter avec nos clients. Nous testons différentes possibilités car nous ne savons pas quel est le modèle d’affaires idéal. En revanche, nous savons où nous voulons aller.

-Justement, vous avez ce slogan : réutilisons, réparons, revendons et recyclons. Comment pensez-vous que votre chiffre d’affaires va être réparti entre ces différentes catégories, avez-vous des objectifs en la matière ?

-F.B. Peu importe la répartition, notre objectif est clair : en 2030, nous visons l'utilisation exclusive de matériaux renouvelables ou recyclés afin d'être 100% circulaire (c’est notre stratégie People & Planet Positive). Nous voulons également être à cette date positif sur le plan climatique en éliminant davantage d’émissions de gaz à effet de serre que nous en produirons. Mais nous n’avons pas de buts quant à la répartition entre les modèles d’affaires.

-Depuis quelques années, vous vendez des produits entièrement réalisés à partir de produits recyclés. La clientèle suisse est-elle réceptive à ce genre de démarche ?

-F.B. Oui. Nous avions réalisé en novembre 2019 une étude internationale à usage interne qui a montré qu’en Suisse 87% des sondés voulaient « faire un effort ou un gros effort pour améliorer leur manière de vivre afin de préserver le climat ». Parmi les actions arrivant en deuxième place figuraient les services de réparation et la réutilisation. Toutefois, les Suisses attachent en parallèle une grande importance aux questions de commodité. Nous devons donc rendre les choses aussi faciles que possible pour nos clients.

-Vous proposez des produits qui ont une durée de vie plus longue et qui peuvent être réparés. Comment est-ce que cela se traduit en termes de coûts et de marge ?

-F.B. Quand on parle de coûts, il ne faut pas penser qu’au présent. Si on ne fait rien aujourd’hui, demain l’énergie, par exemple, sera beaucoup plus chère. Les risques liés à l’inaction sont importants, raison pour laquelle je pense que si l'on veut diriger une entreprise, il faut prendre maintenant des mesures en faveur de l'environnement, même si à court terme, elles se révèlent plus onéreuses.

-Comment être profitable en proposant des produits qui durent plus longtemps ?

- F.B. On ne peut être profitable qu’en étant innovant. Par ailleurs, nous voulons être durables tout en conservant des prix abordables. Ainsi, quand nous avons introduit nos lampes à LED, notre défi était de ne pas augmenter les prix. Il est possible que parfois l’on soit moins profitable et que certaines idées ne puissent pas être réalisées, mais il n’y a pas d’autre option pour une entreprise que celle d’être durable.

-De quelle manière vos nouveaux modèles d’affaires, notamment la circularité, ont impacté votre organisation interne ? J’imagine que certains départements ont dû prendre plus d’ampleur que d’autres ?

-F.B. En effet, nous avons créé un département « Business development » pour tester ces nouveaux modèles d’affaires et chercher des innovations. Par ailleurs, le service clients et le département de reprise des produits (qui décide de la deuxième vie des produits) ont gagné en importance.

-Quelles sont les principales difficultés que vous avez rencontrées avec ces nouveaux modèles économiques ?

- F.B. En Suède, nous sommes en train de tester un magasin IKEA entièrement de deuxième main, où nos articles sont vendus à 50%-60% de leurs prix initiaux. Nous affinons encore progressivement le business model et optimisons tout ce qui peut l’être. Nous entretenons un dialogue étroit avec les membres d’IKEA Family pour comprendre leurs besoins et leurs souhaits. Nous devons faire en sorte que le retour d’objets soit aussi confortable et simple que possible, mais les gens de leur côté doivent aussi faire l’effort et prendre le temps de rapporter leurs meubles.

-Comment qualifieriez-vous votre magasin de Genève en comparaison avec les autres en matière de développement durable ?

-F.B. J’aimerais déjà dire que de manière générale, si l’on compare les magasins d’IKEA avec les autres marques d’ameublement présentes en Suisse, nous sommes clairement en avance en termes de durabilité.

Concernant notre magasin de Vernier par rapport au reste du pays, il connaît plusieurs spécificités. Tout d’abord, la moitié de nos articles y sont acheminés par train, un pourcentage inégalé. Ensuite, nous travaillons ici avec de très nombreuses associations et entreprises sociales au niveau local. Enfin, Vernier a déjà atteint notre but global en matière d’énergie, puisqu’il fonctionne à 100% avec de l’énergie renouvelable (magasin aux standards Minergie qui utilise notamment des pompes à chaleur et de l’énergie solaire).

-Vous communiquez activement sur l’importance de faire des choix durables et sur ces questions de circularité. Pensez-vous qu’une entreprise doive avoir un rôle actif et puisse créer un mouvement envers une planète plus saine ?

-F.B. Nous pensons que de nombreuses petites actions mises ensemble ont un grand impact. Nous voulons conduire ce changement et nous en faire l’avocat, raison pour laquelle nous menons des campagnes de sensibilisation. C’est d’ailleurs ce que les gens attendent de nous, tout particulièrement les jeunes. Il n’est pas possible de se taire et de ne rien faire. C’est pour cela que nous nous engageons dans des thèmes de société, tels que le congé paternité ou la loi sur le CO2.

-Quel message souhaiteriez-vous passer aux entreprises ?

-F.B. Premièrement, c’est bon pour les affaires d’être vertueux dans ses affaires. Deuxièmement, une entreprise doit intégrer la durabilité dans toute sa chaîne de valeur. Enfin, il faut collaborer, car ce n’est pas possible de tout faire tout seul : collaborer avec d’autres entreprises qui ont la même philosophie (pour nous par exemple, avec le segment du textile)

Pour en savoir plus sur la stratégie de durabilité d'IKEA, cliquez ici.

Entretien et rédaction réalisés par Aline Yazgi pour l'équipe Genie.ch (publication le 28.06.2021).

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