[Entretien Mathieu Pillet - Edaphos SA ] "Le marché et l’opinion publique sont toujours plus sensibles aux solutions environnementales"

 [Entretien Mathieu Pillet  - Edaphos SA ]

Mathieu Pillet est le cofondateur d’Edaphos, une jeune société active dans la dépollution des sols par les champignons. Les procédés utilisés - la mycoremédiation - permettent de réutiliser la terre sur place et d’éviter ainsi des trajets en camions.

Composée d’une équipe pluridisciplinaire (ingénieur en environnement, géologue, architecte, microbiologiste et chimiste notamment) spécialisés dans les sols, la société de huit personnes développe en interne des solutions innovantes qui s’appuient sur la microbiologie des sols et les mécanismes associés. Edaphos – « sol » en grec ancien – a été créée en 2018 à Chêne-Bourg et figure déjà sur le site de Solar Impulse, dans sa section consacrée aux solutions efficaces ayant un impact positif sur l’environnement. Interview avec Mathieu Pillet, son cofondateur et directeur.

 

-Quels sont vos terrains d’intervention ?

- Mathieu Pillet Nous travaillons sur deux types de matériaux : les sols pollués et les déchets minéraux. Grâce aux micro-organismes, nous pouvons dépolluer des matériaux ou reconstituer des sols fertiles (à partir par exemple de résidus d’excavations).

-Y a-t-il des types de pollution pour lesquels ces micro-organismes sont plus efficaces?

-M.P. Théoriquement, les champignons peuvent traiter tous les types de pollution. Dans la nature, ce sont de grands dépollueurs, y compris en ce qui concerne les éléments les plus complexes tels que les plastiques ou éléments radioactifs.

De notre côté, nous travaillons sur plusieurs types de pollution, et en particulier sur celles provenant les hydrocarbures, car il s’agit des mécanismes que nous maîtrisons le mieux.

-Concrètement, comment vous y prenez-vous ?

-M.P. D’abord, nous caractérisons les matériaux, autrement dit, nous essayons de comprendre leurs caractéristiques, sur les plans physique, chimique et biologique afin de savoir si nous pouvons intervenir sur eux avec nos méthodologies.

Ensuite, nous apportons des micro-organismes adaptés à la situation. Ces derniers sont sur des substrats, la plupart du temps liquides : nous arrosons ainsi des solutions fongiques sur les sols, que nous avons préparées au préalable et qui sont prêtes à l’emploi.

Il s’agit de champignons locaux, inoffensifs pour l’environnement, que nous cultivons nous-mêmes. Dans notre société, nous avons une filiale qui fait de la bio-augmentation : à partir de quelques grammes de champignons, elle les transforme en quelques kilos, voire en tonnes. Cette bio-augmentation continue dans les sols, en d’autres termes elle se poursuit sur les chantiers.

-A qui s’adressent vos solutions ?

-M.P. Actuellement, nos clients sont principalement des entreprises de construction et des bureaux d’études en environnement. Mais notre cible va toujours plus être les maîtres d’ouvrage (acteurs publics, promoteurs immobiliers, cabinets d’architectes, etc.), car plus nous intervenons tôt, plus nous arrivons à configurer le projet in situ. Souvent, nous arrivons trop tard et ne pouvons plus rien faire, car les machines se trouvent déjà sur le chantier et le bâtiment doit être construit dans les mois à venir.

Notre technologie n’est pas adaptée pour travailler dans l’urgence, mais pour être intégrée dans un projet global optimisé sur le plan environnemental.

-Combien temps prend en moyenne une dépollution ?

-M.P. Cela dépend du niveau de pollution de départ et des objectifs visés. Disons qu’il faut compter entre 3 et 6 mois pour une situation moyenne.

-Quel est l’intérêt de votre technologie par rapport à d’autres méthodes de dépollution ?

-M.P. Dans 99% des cas, les matériaux partent en décharge, ce qui déplace le problème. Notre solution permet au contraire de limiter les flux de transports puisque que les matériaux excavés ou pollués sont transformés en matériaux sains qui peuvent être utilisés sur place, par exemple pour les aménagements extérieurs.

Il convient toutefois de noter que des techniques de dépollution utilisant des plantes, des bactéries ou des traitements physiques existent, mais l’avantage des champignons réside dans le fait que les solutions sont rapides et peu onéreuses.

-Même si votre activité ne relève pas à strictement parler de l’économie circulaire, elle permet de laisser sur place des matériaux qui seraient sinon condamnés à la décharge. Comme vous venez de le mentionner, votre solution permet de limiter les flux de transports et vous apportez une solution aux déblais de construction, qui constituent un vrai problème. A combien estimez-vous le pourcentage de trajets en camion évités ?

-M.P. A titre d’exemple sur le dernier chantier, nous avons traité 250 m3. Sachant qu’un camion transporte 16 m3, on peut dire que nous avons économisé près de 16 aller-simples en décharge, donc 32 aller-retours.

-Vous qui dirigez une start-up active dans l’environnement avec des procédés nouveaux, est-ce que le fait d’essayer d’introduire une technologie pionnière constitue un avantage concurrentiel fort ou vous pose-t-il certains problèmes ?

-M.P. Il n’y a pas de vérité absolue. Le fait que nous travaillons déjà depuis longtemps sur ce projet (15 ans pour mon associé, 3 ans me concernant) nous permet de convaincre plus facilement nos interlocuteurs. Le marché et l'opinion public sont toujours plus sensible aux solution environnementales. Auparavant, nous étions moins pris au sérieux. Cela est certainement dû à un vrai changement d’état d’esprit dans le marché, mais cela tient aussi au fait que notre produit est de plus en plus abouti.

Au début, nous avons rencontré des difficultés liées à la nouveauté de la solution, car nous n’avons pas encore beaucoup de références, ce qui constitue un frein pour le déploiement à grande échelle ou pour des projets de grande ampleur.

Un autre frein est lié à des questions réglementaires, notre solution ne rentrant dans aucune réglementation précise. Cela dit, nous arrivons à progresser parce que le marché, y compris les collectivités publiques, ose prendre des risques.

-Vous venez d’intervenir sur un gros chantier à Plan-les-Ouates. Quels en sont les résultats ?

-M.P. Nous attendons les résultats exacts, car le chantier n’est pas encore fini. Les résultats provisoires montrent déjà que les objectifs de dépollution ont été atteints.

Le but était en effet de parvenir à une baisse des teneurs en hydrocarbures d’au moins 50% entre août et décembre. A ce stade, la réduction est supérieure à 70%.

A quel point la terre que vous traitez ressort propre ?

-M.P. Notre taux d’abattement est compris entre 50% et 90%. Sur nos chantiers après 3 mois, ce taux est de 50%, ce qui signifie que le taux de pollution a été diminué de 50%. La règlementation suisse sur les déchets et les sols donne des concentrations à partir desquelles certains usages sont permis. Notre objectif est d’atteindre les différents taux de la réglementation.

-Etiez-vous déjà intervenus ailleurs ?

M.P. Nous avions déjà réalisé de petits essais, mais sur quelques kilos ou quelques tonnes, alors que sur le chantier de Plan-les-Ouates, nous avons travaillé en conditions industrielles (500 tonnes). Nous avons d’autres projets prévus en 2021 et allons encore faire des essais à large échelle, à Genève et en Suisse. Il nous faudra encore une année avant d’annoncer que la technologie est mature et d’industrialiser sa technique. Nous pourrons alors proposer notre solution de manière générique.

-Avez-vous des liens avec le monde de la recherche ?

-M.P. Oui, nous collaborons avec des laboratoires publics et privés en Belgique, en France et en Suisse. Du côté de Genève nous avons notamment mené un programme de recherche commun avec des chercheurs de la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture (HEPIA) grâce à l’aide d’InnoSuisse et de l’Office de la Promotion des Industries. Le projet portait sur l’identification de souches fongiques naturellement présentes dans les sols genevois.

 

 

Retrouver un interview de M. Pillet dans l'émission #Le monde de demain ici

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Entretien et rédaction réalisés par Aline Yazgi pour l'équipe Genie.ch (publication le 9.12.20)

 
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Rédaction