[Entretien - Rodrigo Fernandez et Laurent de Wurstemberger, Terrabloc] - Comment une simple brique peut changer tout un écosystème

[Entretien - Rodrigo Fernandez et Laurent de Wurstemberger, Terrabloc] - Comment une simple brique peut changer tout un écosystème

L’ingénieur Rodrigo Fernandez et l’architecte Laurent de Wurstemberger ont créé Terrabloc. Cette société genevoise réalise des constructions en blocs de terre crue conçus à partir de déblais terreux d’excavation de chantier, permettant de fabriquer des murs à très faible impact environnemental. Ils commencent à être contactés pour de grands projets et viennent de passer un contrat de « coworking industriel » avec une entreprise familiale centenaire afin de mieux pouvoir répondre à certaines demandes d’envergure. Et d’avoir ainsi un impact environnemental encore plus marqué.

Quel est l’intérêt du matériau que vous fabriquez ?

R.F et L.d.W Nos briques valorisent des déchets de chantier de la région, ce qui permet des circuits courts. Elles ont des qualités thermiques et hygrométriques : les murs respirent. Elles apportent ainsi un confort de vie, tout en ayant une texture très sensuelle. Ce matériau est ainsi particulièrement adapté pour l’intérieur. Il peut également être utilisé pour les façades extérieures, mais avec des précautions et un soin particulier de mise en œuvre.

En récupérant de la matière dont les chantiers doivent se débarrasser, vous devez leur rendre service, car l’évacuation coûte cher !

R.F et L.d.W Oui, notre travail fait gagner de l’argent au terrassier. A Genève, se débarrasser d’un mètre cube coûte entre 30 et 40 francs. Un camion représente ainsi quelque 300 à 400 francs. En plus, les camions vont parfois assez loin pour déverser leurs déchets : deux-tiers des excavations de matériaux terreux sortent de Genève, soit 3,5 millions de mètres cubes par an !

Mais les répercussions de Terrabloc sont plus larges que ce seul aspect : le déchet est valorisé et ne parcourt pas de nombreux kilomètres pour être débarrassé ; les briques sont fabriquées sur place, elles remplacent un matériau qui vient souvent de loin et qui est fréquemment de synthèse. C’est ainsi toute la chaîne qui est changée, c’est le principe d’économie circulaire.

Il faut toutefois rester modeste : nous n’allons pas révolutionner seuls toute la problématique des déchets terreux.

Est-il facile d’introduire un nouveau matériau dans les habitudes de construction ?

R.F et L.d.W L’industrie de la construction est très normée, car on traite de la sécurité de l’humain, et les modes de fabrication évoluent peu. Il est donc difficile d’introduire un nouveau matériau dans un projet. Cela dit, en 2015, les SIG nous ont fait confiance en recourant à nos services pour la construction du mur d’entrée de leur « Maison du futur » sur les Berges de Vessy. Ils ont été précurseurs, ont joué le jeu de donneur d’ordre public et ont montré l’exemple. Les gens ont pu voir qu’avec nos briques en terre nous pouvions faire des choses très belles, très contemporaines. Depuis lors, nous sommes intervenus pour des logements, pour le réfectoire d’une école, pour le Foyer du Grand-Théâtre, etc. Nous avons des communes comme clients et les auteurs de grands projets nous sollicitent de plus en plus.

Et pour pouvoir répondre à des projets plus importants, vous venez de mettre en place un système de coworking industriel…

R.F et L.d.W Oui, nous avons passé un accord de partenariat avec le fabriquant de dalles Cornaz à Allaman, avec qui nous partageons la même passion pour le caillou. Quand nous avons besoin de produire de plus grandes quantités, nous louons leur chaîne de production et leur personnel à la journée. Nous pouvons ainsi disposer de compétences humaines et d’une bonne infrastructure. Et Cornaz, de son côté, optimise ses ressources productives. C’est donc une solution gagnant-gagnant ! En plus, étant sur la Côte, l’entreprise est située de manière très centrale par rapport à l’Arc lémanique, ce qui est important pour nous, car nous avons aussi de nombreux clients sur le canton de Vaud et en Suisse romande.

Quelles étaient vos autres motivations par rapport à ce changement d’échelle ?

R.F et L.d.W Ce partenariat nous permet de diminuer le prix de nos briques : leur surcoût par rapport à du matériau traditionnel ne sera plus que de 10% environ. C’est important de se rapprocher des prix habituels, car ainsi les maîtres d’ouvrage seront davantage incités à travailler avec des composants écologiques.

Pour avoir un véritable impact environnemental, il fallait que ce matériau puisse être utilisé à plus grande échelle, car les modèles participatifs restent marginaux dans le monde de la construction, dominé par les grandes structures. Et pour cela, il était nécessaire de s’adapter et de démocratiser l’accès à ce matériau. C’est la principale raison de notre décision.

A l’origine, vous aviez mis l’accent sur le côté participatif. Allez-vous poursuivre cet axe ?

R.F et L.d.W Oui, à côté de cette nouvelle approche, nous voulons absolument conserver notre axe de travail basé sur l’aspect participatif. Ce dernier consiste à nous déplacer sur les chantiers et à fabriquer les briques sur le site avec notre chaîne de production que l’on peut monter puis démonter. Mettre à disposition de la main d’œuvre participative est aussi une manière de baisser les coûts de production des blocs.

Certifiées minergie-ECO

Les co-créateurs Rodrigo Fernandez et Laurent de Wurstemberger apportent des regards très complémentaires. Le premier - ingénieur EPFL et auteur d’un travail de diplôme sur la thématique de la terre crue – apporte le côté technique. Le second, architecte, amène l’œil plus esthétique. Et tous deux ont une vision pragmatique. Ainsi, pour mieux stabiliser les blocs, ils rajoutent jusqu’à maximum 5% de ciment, ce qui garantit une meilleure durabilité.

Au niveau suisse, les briques de Terrabloc sont répertoriées dans les normes d’impact environnemental et figurent dans le catalogue des calculs thermiques et d’impacts environnementaux des matériaux. Elles sont également certifiées Minergie-ECO (qui considère également l’énergie grise et les matériaux utilisés).

Entretien et rédaction réalisés par Aline Yazgi pour l'équipe Genie.ch

Plus d'informations sur le site internet de TERRABLOC

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