[Entretien Thomas Büchi - Charpente Concept ] « Le bois joue un rôle fondamental dans la transition énergétique »

[Entretien Thomas Büchi - Charpente Concept ] « Le bois joue un rôle fondamental dans la transition énergétique »

Thomas Büchi a créé Charpente Concept en 1991, premier bureau spécialisé en ingénierie du bois à Genève. Il est à l’origine de nombreux bâtiments emblématiques en bois (la Halle 7 de Palexpo, le Palais de l’équilibre, le refuge du Goûter, la « broken chair », etc.) et plaide pour une meilleure utilisation de celui-ci dans la construction. D’un seul employé il y a trente ans, sa société en compte aujourd’hui 33 et possède six agences réparties entre la Suisse et la France.

 

-A vos yeux, à quel point l’utilisation du bois dans la construction joue-t-elle un rôle dans la transition énergétique ?

-Thomas Büchi. Dans la transition énergétique et pour la sauvegarde du climat, le bois joue un rôle fondamental. Un mètre cube de bois fixe une tonne de CO2, car les arbres stockent du carbone dans leur tronc, et cela pendant plusieurs siècles.

-Pourtant la déforestation est galopante…

-T.B. L’être humain se fait harakiri sur le plan mondial en déforestant. Il faut dire que dans les pays tropicaux, la forêt n’a pas de valeur, car elle n’a pas de débouché économique. 

L’Europe essaie de développer une autre vision, en donnant précisément une valeur économique à la forêt pour qu’elle reste en bonne santé. En construisant avec les vieux arbres, on permet aux jeunes de pousser. L’être humain peut ainsi contribuer à la sauvegarde et la santé de la forêt.

Il faut penser global et agir local. Raison pour laquelle, pour tous nos projets, nous essayons de promouvoir la filière du bois local. Cela crée ainsi des circuits courts, ce qui débouche sur moins de pollution, moins de transport et plus d’emplois locaux (bûcherons, charpentiers, architectes, ingénieurs, etc.)

-Si le bois vient des pays nordiques, le bilan carbone de la construction est-il encore meilleur que celui d’un bâtiment conventionnel en béton ?

T.B. Oui, de toute façon son bilan carbone est meilleur. A portance égale, le ratio est de 1 à 10 entre le bois et l’acier ; il est de de 1 à 8 pour le béton armé. La marge reste donc importante.

-On voit apparaitre de plus en plus du béton recyclé. C’est quand même meilleur d’un point de vue environnemental que du béton « normal » ?

- T.B. C’est en effet mieux, car il n’y a pas besoin de repasser par une cimenterie. Le recyclage exige toutefois beaucoup d’énergie.

-Il ne faudrait donc plus utiliser de béton ?

- T.B. Ce n’est pas ce que je veux dire, mais il faut le mettre à sa place : pour les fondations des bâtiments, les ponts, les tunnels, etc.

-Est-il possible de faire des excavations en bois ?

- T.B. Il est possible de construire sur du bois. Nous avons ainsi bâti l’Opéra des nations, p.ex., sur des pieux en bois (provenant de la forêt de Versoix). Nous avons également fait un immeuble destiné aux migrants sans béton dans ses fondations. La faiblesse du bois dans les fondations réside au point de jonction entre la terre et l’air, ou entre l’eau et l’air. Il est donc possible de bâtir des fondations durables en bois pour autant qu’elles soient complètement immergées, et non à moitié.

-Le bois est la seule matière première renouvelable de Suisse : on coupe des arbres, puis on les replante. Pour être complètement dans l’économie circulaire, il faut s’intéresser aussi à l’autre bout de la chaîne. Que fait-on donc avec les bâtiments en bois que l’on démolit ? Les traitements du bois pour le rendre ignifuge ou résistant à l’humidité permettent-ils quand même un recyclage ?

- T.B. Nous avons essayé de tout faire sans produit chimique et aujourd’hui, nous arrivons à ce que la colle ne représente que 0,4% du bois lamellé collé. Il est donc possible d’en faire des pellets ou du bois de chauffage. Ce n’est pas parce qu’une construction en bois doit être démolie que le bois a fini son cycle de vie.

-Existe-t-il des labels permettant de sélectionner des produits particulièrement écologiques (sans traitements chimiques, p.ex. ?)

- T.B. Trop de gens dans les entreprises mettent encore des produits chimiques pour préserver le bois. Pourtant, avec une bonne conception de la construction au départ, il n’y a pas besoin de produits chimiques. Une sensibilisation doit vraiment être faite, afin que les bons matériaux soient mis aux bons endroits. Le seul ennemi du bois est l’eau, il faut donc le protéger. Pour le refuge du Goûter, nous avons ainsi plaqué de l’inox à l’extérieur.

Pour répondre à votre question, le Label Bois Suisse, lancé par Lignum, l’organisation faîtière de l’économie suisse de la forêt et du bois, indique aux clients que le bois est exploité dans de bonnes conditions et contribue à l’économie locale.

-Vous cherchez à concevoir des bâtiments à énergie positive, c’est-à-dire qui produisent plus d'énergie qu'ils n'en consomment. Pouvez-vous en dire plus ?

- T.B. J’ai construit ma maison à Nax, qui produit 2,5 fois ce qu’elle consomme, grâce à une façade active en bois et en verre. Cette production d’énergie me permet de rouler 50'000 kilomètres par an avec ma voiture électrique. C’est ça l’avenir de la construction. La Suisse ne devrait plus autoriser la construction de bâtiments qui ne permettent pas une production d’énergie pouvant par exemple être utilisée pour la mobilité, avec notamment des panneaux photovoltaïques.

En 2012, l’architecte Hervé Dessimoz et moi avons gagné le concours du développement durable pour le refuge du Goûter dans le Massif du Mont-Blanc : si on peut construire à 4000 mètres d’altitude un bâtiment en bois écologique et autonome énergétiquement, il n’y a plus d’excuse pour ne pas faire pareil en plaine.

- Quelle a été l’évolution du bois dans la construction à Genève ?

- T.B. Quand j’ai créé ma société en mars 1991, les gens associaient le bois aux cabanes de jardin. On riait de moi, en disant que le bois était un matériau du passé. Les mentalités ont ensuite assez vite changé, suite à des bâtiments que j’ai réalisés, comme l’école de Cartigny, premier grand combat pour que le bois soit intégré dans la construction de grande ampleur, puis la Halle 7 de Palexpo, qui a eu des répercussions internationales, ou encore quand on a reconstruit le Palais de l’équilibre au CERN. Le bois a retrouvé ses lettres de noblesse. Ces projets emblématiques ont donné confiance aux maîtres d’ouvrage et ont contribué au rayonnement du bois sur le canton.

-Est-ce que la greffe a pris au-delà de votre société ?

- T.B. Oui, il y a un vrai changement de paradigme. Aujourd’hui, le bois est respecté. Les gens veulent vivre dans des logements en bois, en raison de l’harmonie qui s’y dégage. Il y a de plus en plus d’acteurs qui se sont mis à la construction en bois. En France comme en Suisse, les grands groupes commencent tous à ouvrir un département consacré au bois. Ainsi, Bouygues projette de construire à Paris une tour en bois de 50 mètres de haut comptant 16 étages.

- Des gratte-ciels en bois seraient-ils ainsi envisageables ?

- T.B. Tout se calcule. Le bois a ses contraintes, comme l’acier et le béton. Une tour de 800 mètres en bois poserait des problèmes d’encombrement, car les structures en bois ont besoin de plus d’espace au sol que des structures en acier. Aujourd’hui, il est raisonnable de dire qu’on peut aller jusqu’à 100 mètres, si les nombreux paramètres de sécurité sont bien maîtrisés.

-On dit que la durée d’un chantier est beaucoup plus rapide avec le bois qu’avec d’autres matériaux. Quelle est votre impression ?

- T.B. C’est peut-être l’avantage le plus formidable du bois, car 70% du temps de travail nécessaire à la préparation d’un ouvrage en bois se réalise en atelier et non sur le chantier. Ainsi, une villa peut se construire en 8 mois au lieu de 12. Autre exemple : Aigues-Vertes avait urgemment besoin d’un bâtiment d’accueil pour les seniors et d’une salle polyvalente. Nous avons proposé une construction 100% en bois sauf l’ascenseur et la cage d’escaliers centrale. Cette rapidité d’exécution a fait pencher la balance, car il y avait une grande pression pour accueillir rapidement ces seniors. Une construction en bois nécessitait 17 mois, contre 26 pour le béton.

-Qu’en est-il du coût de construction ?

- T.B. Le coût de construction entre le bois et le béton est environ similaire, mais le temps économisé permet des rendements locatifs en plus.

-Comment se situe Genève en matière de constructions en bois par rapport au reste de la Suisse et à l’étranger ?

- T.B. La Halle 7 a peut-être été un détonateur il y a 25 ans. Depuis lors, il y a à Genève une bienveillance par rapport aux ouvrages en bois, et ces derniers sont assez nombreux. Ainsi, il y a 20 ans déjà, une coopérative a construit 90 logements sur 5 niveaux, le tout en bois. Par ailleurs, plusieurs surélévations sont réalisées en bois, à l’image de celle de l’OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle) avec un porte-à-faux de 35 mètres (ndlr : élément soutenu par une partie qui est elle-même au-dessus du vide), ce qui était une première mondiale en 2014. On pourrait encore citer la Fondation HBM Emile-Dupont, l’Association genevoise du Coin de Terre et la Ville de Vernier qui sont en train de construire plus de 150 logements en bois sur 9 étages. Enfin, il se trouve ici un regard intéressant d’un point de vue législatif, puisqu’un projet de loi demande aux collectivités publiques d’étudier une solution en bois pour chacun de leurs projets.

Genève est ainsi un bon canton en la matière, même s’il n’a que peu de forêts, par rapport au canton de Vaud par exemple.

-Si toute la construction se fabriquait désormais en bois, y en aurait-il assez dans nos forêts ?

- T.B. Non. Aujourd’hui, on utilise 50 à 60 % de la croissance de notre forêt. La part du bois pourrait ainsi doubler sa part dans la construction, mais pas au-delà, car on ne peut pas construire plus vite que la forêt ne pousse. On ne peut donc pas faire tout et n’importe quoi.

-On entend dire que le bois dure moins longtemps que les ouvrages en béton. Quelle est sa durée de vie ?

- T.B. Je m’insurge contre cette affirmation. On n’a que 100 ans de recul sur le béton. Depuis son introduction, il a certes été perfectionné, mais il faut reprendre tous les grands ouvrages pour les décarbonater. Pensez simplement aux ponts autoroutiers. Tandis que les charpentes en bois datent pour certaines de plusieurs siècles. Pensez à la charpente de Notre-Dame, avant qu’elle ne brûle : elle avait été construite en 1250.

-Qu’en est-il justement de la menace du feu ?

- T.B. Un immeuble en bois résiste mieux à incendie qu’une tour en acier, car on peut prévoir la vitesse de combustion du bois. Tandis que l’acier se déforme dès 400 degrés et s’écroule.

-Les voix critiques disent que l’isolation thermique et phonique du bois est insuffisante.

- T.B. Au niveau thermique, il s’agit d’un mauvais procès d’intention : aujourd’hui, les meilleurs isolants sont fabriqués à base de fibres de bois : avec 25 cm d’entre elles sur une façade ou un toit, la chaleur nécessite 14 heures pour traverser cette couche, contre 5 heures pour la laine de roche et 1,5 pour le polystyrène.

Concernant le béton, les bâtiments doivent être isolés depuis l’extérieur et ont besoin d’une grosse épaisseur. Alors que le bois nécessite une façade moins épaisse et l’isolation se fait dans l’épaisseur de la structure. On gagne ainsi de la place.

D’un point de vue phonique, des systèmes avec p.ex. des granulés d’argile et une chape, permettent 61 décibels d’atténuation phonique, alors que la loi pour une PPE n’en exige que 55.

-Quels inconvénients voyez-vous aujourd’hui pour le bois dans la construction ?

- T.B. Comme il y a un engouement pour le bois, de nombreuses entités veulent s’y mettre et ne construisent pas forcément avec un niveau suffisant de qualité technique. D’ailleurs chez nous, le département des expertises tourne à plein régime suite à des problèmes découlant d’interventions d’autres entreprises. Ces malfaçons et fautes techniques donnent une mauvaise image au bois et lui font une mauvaise publicité.

La propagation de ce matériau est trop rapide par rapport aux connaissances générales et au nombre de personnes bien formées, ce qui se traduit par des réalisations inadéquates. L’expansion du marché du bois doit être maîtrisée et suivre tant l’évolution de la croissance de la forêt que de la formation professionnelle (architectes, maîtres ouvrages, ingénieurs, etc.).

 

Pour en savoir plus sur Charpente Concept cliquez ici

 

Entretien et rédaction réalisés par Aline Yazgi pour l'équipe Genie.ch ( publication le 11.01.2021)

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