[Entretien Vincent Chapel - Helvetia Environnement]« Nous sommes devenus producteurs de matière et créateurs d’énergie »

[Entretien Vincent Chapel - Helvetia Environnement]« Nous sommes devenus producteurs de matière et créateurs d’énergie »

 

Helvetia Environnement a changé de manière importante son modèle d’affaires, réalisant désormais le tiers de ses revenus grâce à la valorisation des déchets. Vincent Chapel, son président-administrateur délégué, explique les raisons et les conséquences de son intérêt pour l’économie circulaire.

Helvetia Environnement est composée de plusieurs sociétés (telles que Transvoirie, Sogetri ou encore Leman Bio Energie) et ramasse plus de 500'000 tonnes de déchets par an dans 500 communes suisses. Originaire de Genève et forte de 500 collaborateurs (180 dans le canton du bout du lac) sur 38 sites sur l’ensemble du territoire Suisse, l’entreprise a récemment inauguré un nouveau centre de traitement entièrement automatisé, permettant un taux de tri des déchets industriels et de chantier de 80% et un taux de valorisation supérieur à 70%. En produisant des matières premières secondaires grâce à des déchets, cette usine permet de préserver les ressources naturelles et de limiter les émissions de gaz à effet de serre. Interview avec son président-administrateur délégué, Vincent Chapel.

-Vous indiquez vouloir contribuer à l’émergence d’une économie circulaire. Quelles sont les raisons qui vous ont motivé ?

-V.C. A titre personnel, j’ai trois enfants et quand je regarde l’état de notre planète depuis une quinzaine d’années, je suis stupéfait par ce que je vois. Je sens donc un devoir de loyauté vis-à-vis des générations futures. A titre professionnel, nos activités de recyclage s’inscrivent par essence dans l’économie circulaire. Nous en sommes l’un des maillons.

-Comment et en quoi Helvetia Environnement est devenu un acteur de la mutation vers l’économie circulaire ?

-V.C L’économie du recyclage est à la fois très ancienne et, dans sa forme actuelle assez récente. Les activités de valorisation des ferrailles, métaux, papier ou carton ont des décennies d’histoire. C’est quelque chose qui se faisait de manière naturelle et artisanale. Mais progressivement, nous sommes passés d’une économie linéaire à une économie circulaire, en cherchant non pas à valoriser les fractions les plus simples des déchets, mais à valoriser par des moyens techniques modernes et par de l’innovation toutes les fractions qui puissent l’être.

V.C Nous sommes ainsi passés d’un état de valorisation « naturelle » à une valorisation du maximum de ce qui peut l’être. Les progrès techniques, les moyens mis en œuvre, les innovations, les modèles économiques des entreprises de recyclage ont ainsi migré vers cet objectif de valoriser au maximum les déchets.

 

-De quel type de déchets parle-t-on ?

-Quand on parle de valorisation, il est utile de distinguer deux types de déchets : ceux qui vont se transformer en une nouvelle matière et ceux qui vont donner de l’énergie, permettant de se substituer à l’énergie fossile.

C’est ce que nous faisons avec Léman Bio Energie : notre filiale extrait l’huile végétale usagée, la purifie, puis la transforme en biocarburant qui a les mêmes propriétés qu’un carburant fossile mais son utilisation, permet de réduire les émissions de CO2 de 66% par rapport à du diesel standard.  Le procédé s’apparente à celui d’une raffinerie de pétrole. Nous produisons 3 millions de litres par an de ce biocarburant de deuxième génération. Nous en utilisons la moitié pour nos besoins propres et vendons l’autre moitié sur le marché. En 2019, 60% de notre flotte a fonctionné grâce à notre propre biocarburant, c’est de l’économie circulaire. Nous ne pouvons pas encore faire fonctionner tous nos camions de façon « pure » au 100% biocarburant, car certains sont d’une ancienne génération et ne peuvent pas fonctionner uniquement avec ce dernier. Nous l’utilisons donc en additif mélangé au diesel, dans des proportions allant de 15 à 30%.

 -Vous avez mentionné que votre modèle d’affaires avait changé. De quelle manière ?

- V.C Notre modèle économique a aujourd’hui trois piliers : un tiers de nos revenus est issu des services (collectes auprès collectivités et des industries), un tiers provient de la réception de déchets (tri) et le dernier tiers est généré par la valorisation de déchets. Il y a 5 ans, la valorisation représentait moins de 5% de nos revenus. La transformation et l’adaptation de l’entreprise ont été significatives.

 

-Est-ce que ce modèle d’économie circulaire a un impact sur votre organisation ?

- V.C Les équipes ne sont pas les mêmes, car il faut d’autres compétences, par exemple sur les matières ou concernant la maîtrise des filières. Si l’on prend le biodiesel, le procédé de transestérification - une des étapes clés dans la transformation des huiles végétales - constitue un processus industriel. Autre exemple : Sortera, notre unité de tri haute performance que nous venons d’inaugurer, est totalement innovante et entièrement automatisée, ce qui demande de nouvelles compétences.

Nous ne sommes plus du tout dans le même paradigme, étant devenus producteurs de matières secondaires et créateurs d’énergie. Nous sommes passés d’une société de service à un groupe industriel. Et cela a transformé aussi nos ressources humaines : il y a eu des programmes de formation, des recrutements et acquisitions de nouvelles compétences.

 

-Pouvez-vous donner des exemples d’autres valorisations ?

 

- V.C Je suis intimement convaincu que les plastiques sous toutes leurs formes recèlent un potentiel de valorisation très important. Il faut évidemment limiter à la source la production de plastique. Mais les industriels doivent aussi développer de nouveaux plastiques recyclables. Le PET est une filière qui fonctionne bien en Suisse, mais plusieurs autres déchets (principalement des emballages ménagers) peuvent également être valorisés. Le bois de déchets constitue un autre exemple : jusqu’à il y a une petite dizaine années, on s’en préoccupait peu. Les nouveaux procédés permettent de transformer un bois de déchets et de lui donner une deuxième vie, pas en le recyclant en matière, mais en l’utilisant pour créer de l’énergie.

 

-Sur quels types de nouvelles offres cette transformation a-t-elle débouché ?

- V.C Nous proposons par exemple de la gestion déléguée à nos grands clients industriels, autrement dit, la prise en charge globale du déchet (de la gestion réglementaire jusqu’à la mise à disposition de collaborateurs in situ sur le site du client). Ainsi, pour Henniez (groupe Nestlé), nous opérons la gestion déléguée de l’ensemble des sites suisses :  nous nous occupons, directement sur place dans l’usine, de l’ensemble du cycle de déchets, tels que bouteilles, cartons, rebus de production, etc. Ces derniers sont valorisés sur le site et réintroduits in situ dans le cycle de production. Tout se fait sur place, sans déplacement. Le kilomètre est l’ennemi du déchet :  il renchérit les prestations, dégrade l’environnement et allonge les durées d’intervention. Et cette tendance va aller en s’accentuant : le coût du kilomètre a augmenté et va continuer à croître, ce qui est d’ailleurs une bonne chose, car moins on parcourt de kilomètres, plus il faut mettre de l’intelligence dans la valorisation des déchets.

Le Pôle Bio à Genève est un autre exemple qui va voir le jour dans quelques mois, en partenariat avec les SIG. Il permettra la valorisation des déchets organiques produits par les ménages du canton. Autrement dit, il s’agira de déchets genevois, valorisés à Genève afin de produire de l’énergie pour Genève. Ce type d’action figure au cœur de notre stratégie.

 

-Quelles sont les tendances à venir pour le marché des déchets au sein du Canton, en Suisse ?

- V.C Il y a une vraie volonté de valoriser localement les déchets. Je crois à deux phénomènes : d’une part, la réduction du déchet à la source et la lutte contre le gaspillage, d’autre part, à l’autre bout de la chaine, un maximum de valorisation. Même s’il y a encore des progrès à faire en termes de gaspillage, on n’arrivera jamais à zéro déchet. En revanche, le but d’arriver à 100% de valorisation est tout à fait réaliste.

 

- Qu’en est-il de la collecte mutualisée des déchets, notamment pour les entreprises ?

- V.C Il faut bien entendu pousser le recyclage à la source dans les entreprises, mais c’est complexe : ces dernières ont de moins en moins de place et disposent de moins en moins de ressources.

Dans les grandes sociétés, la gestion déléguée fonctionne bien, mais ce n’est pas possible partout. En parallèle, les moyens techniques de tri et de traitement de déchets industriel permettent désormais un tri additionnel en complément à celui à la source. C’est ce qu’offre Sortera, proposant aux entreprises de trier leurs déchets dans nos unités industrielles.

 

-Quel message aimeriez-vous faire passer aux entreprises concernant leurs déchets ?

- V.C Le déchet est encore considéré trop souvent comme une quelque chose de banal dont on se débarrasse. Or les enjeux autour des ressources sont de plus en plus clés, car elles sont limitées. J’aimerais que la thématique des déchets soit considérée autrement que sous l’angle de leur simple élimination. Cette remarque vaut pour les industries mais aussi pour les collectivités publiques, qui ont souvent tendance à ne considérer qu’un seul critère : le prix de la prise en charge d’élimination des déchets. Or il n’est généralement pas possible de faire de l’écologie au prix du fossile, car on sait tous que le prix de l’énergie fossile est un leurre !

Entretien et rédaction réalisés par Aline Yazgi pour l'équipe Genie.ch (publication le 09.03.20)

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Vincent Jay

Chef de projets