Témoignages Genie.ch #1 : Emmanuel Druon (Pocheco)

Dernière modification le 12/05/2020 - 21:25
Témoignages Genie.ch #1 : Emmanuel Druon (Pocheco)

Entreprendre autrement : des chefs d’entreprise qui font évoluer le mot « réussite »


Le Parlement des Entrepreneurs d’avenir s’est réuni à l’UNESCO

Le 4ème Parlement des Entrepreneurs d'avenir s’est tenu les 5 et 6 décembre 2015 à Paris, en marge de la COP 21. Entrepreneurs d'avenir est une communauté de plus de 750 dirigeants français qui partagent une vision de la société du futur. Ils œuvrent à la fois à titre individuel et au titre de leur entreprise pour développer, au-delà du seul champ économique, la responsabilité et la contribution de l'entreprise au progrès global de la société.

Pour donner une impulsion à ce nouveau modèle de croissance durable sont identifiées les organisations où les avancées sociales, environnementales et sociétales sont les plus innovantes afin de promouvoir les plus exemplaires.
Des communautés de dirigeants se constituent autour de thèmes et d’actions à porter. Les thématiques traitées sont les suivantes : la charte des actionnaires d'avenir, vers une politique sociale responsable et innovante dans l'entreprise, la formation des dirigeants, évaluation et impact sociétal, comment changer d’échelle, l'éco-responsabilité, RSE et marchés publics, les achats responsables, l'entreprise au féminin, vers un business-model d’avenir.

Genie.ch publie une série de témoignages recueillis dans ce cadre.

----------

Témoignage Genie.ch #1

Emmanuel Druon (Pocheco) : « Comme je ne suis pas un psychopathe, je n’ai pas envie de détruire pour avoir du travail… ! »


 

Depuis son arrivée à la tête de l’entreprise en 1997, ce patron atypique pratique un nouveau mode de gestion circulaire. A Pocheco, son usine du Nord de la France d’où sortent chaque jour 10 millions d’enveloppes, cela s’illustre par des toitures végétalisées qui améliorent l’isolation du bâtiment et la récupération de l’eau de pluie - qui couvre désormais 80 % des besoins hydriques. Par des compresseurs dont la chaleur dégagée est réutilisée pour le chauffage. Des rebuts de papier revendus à un recycleur. Une bambouseraie nettoyant les eaux souillées par les encres d’impression. Ou par les douze ruches installées sur le toit. La bonne nouvelle est que l’entreprise n’en a pas pâti. Au contraire : elle survit toujours dans un marché promis à une mort lente.

Pocheco est en effet une réussite économique, avec ses 2 milliards d’enveloppes imprimées par an et ses 70% de parts du marché. Bâtiments isolés à la laine de verre, panneaux photovoltaïques, eau de pluie pour diluer les encres, sans solvants, et arroser les arbres fruitiers : chez Pocheco, l’économie circulaire n’est pas un vain mot ! « Il est plus économique de produire de manière écologique, affirme-t-il. C’est ce que l’on appelle « l’écolonomie ». Le patron raconte ses choix dans son livre, Le Syndrome du poisson lune. Son expérience est également citée et décrite dans le film « Demain », de Cyril Dion et Mélanie Laurent, qui est actuellement sur les écrans.

 
 
Emmanuel Druon, qu’est-ce qui vous fait avancer ?

 
 
Je fabrique – ou plutôt, 122 collègues et moi fabriquons – des enveloppes. 2 milliards d’enveloppes par an.
Quand j’ai pris mes fonctions, il y a longtemps, on disait que produire du papier tue la forêt. Comme je ne suis pas un psychopathe, je n’avais pas envie de détruire pour avoir du travail ! La destruction créatrice à la Schumpeter, ça va bien, sauf que ça ne va plus ! Toutes les ressources naturelles s’épuisent. Même les gens s’épuisent, d’ailleurs, le burn out est un vrai problème de société. J’ai donc cherché des solutions.
 
Il faut regarder en amont, chez les fournisseurs. Tout d’abord j’ai trouvé des gens qui, chaque fois qu’ils coupent un arbre, en plantent 4, et dans le respect de la biodiversité en Europe. Comme c’est dans les dix premières années de sa vie qu’un arbre capte le plus de CO2, notre papier a un bon bilan carbone. Le papier arrive en train et par bateau, on n’utilise pas d’énergie fossile. Quant à l’eau que nous utilisons, elle est renvoyée dans la nature après emploi.


 
Cette démarche est-elle rentable ?
 
 
Nous avons décidé de nous donner les moyens de travailler selon nos convictions. On pourrait se dire : « On va essayer de gagner des parts de marché…dans un deuxième pays…sur un deuxième continent…un troisième…et puis où ? Sur Mars ?
 
L’extension permise par le système boursier n’est pas une fin en soi. Nous choisissons de réinvestir dans l’entreprise elle-même. Nous ne distribuons jamais de dividendes. 10 à 15 % du temps de travail se passe en formation, car j’emploie des personnes qui n’ont pas toujours eu l’occasion de se former. Nos salaires s’échelonnent de 1 à 4 : le niveau « 1 » correspond au SMIC + 15 % (salaire minimum légal) et le niveau « 4 » est 4 fois plus élevé.

 
 
Pourriez-vous nous donner un cas concret d’économie circulaire dans votre usine?
 
 

Ce n’est pas un cas unique ; toute l’usine a été complètement transformée. Par exemple, au début, la toiture était en mauvais état. Quand il pleuvait (il pleut deux fois par an dans le Nord-Pas-de-Calais : une fois pendant 6 mois, une fois pendant 3 mois… !), la toiture fuyait. On savait où mettre les seaux, mais nous avons fini par refaire la toiture. Avec l’idée que cette toiture, elle aussi, devait être productive ! Nous avons mis des végétaux sur la toiture, soigneusement sélectionnés à l’aide d’un laboratoire.

L’eau de pluie - non polluée car nous n’utilisons pas de solvants - est recueillie dans des cuves, récupérée et mélangée à du savon de Marseille pour nettoyer les outils de production. Nous avons ensuite planté une bambousaie. L’eau est envoyée au goutte à goutte sur le système racinien. Les bactéries contenues dans l’eau décomposent la souillure, s’en nourrissent, et la seule biomasse qui est générée est la tige du bambou lui-même. Au bout de quelque temps, le bambou devient moins efficace : on le coupe, on le sèche, on en fait des pellets et on se chauffe avec cela.

Tous nos investissements sont basés sur ce principe !

Pensez-vous que chaque entreprise peut se mettre à l’économie circulaire ?

Il y a toujours bien plus de possibilités que l’on croit. Pour aider les autres entreprises, nous avons créé un bureau d'études, Canopée Conseil *, qui préconise des solutions écolonomiques préalablement testés chez Pocheco à d'autres entreprises et collectivités.

Quels sont vos rêves d’avenir ?
 

Je rêve tout d’abord que l’on abandonne complètement l’obsolescence programmée !
Ensuite, je rêve que chacun demande ses factures par poste. D’abord, parce que cela m’arrangerait. Ensuite, parce qu’une étude du CNRS, en 2010, démontre qu’il est 15 à 23 fois plus polluant de recevoir ses factures par internet que par poste !

----

Pour en savoir plus : 
www.canopeeconseil.com
www.pocheco.com

www.ecolonomies.fr

Le syndrome du poisson-lune, Emmanuel Druon, 195 p, Actes Sud 2015
----
 
Consulter le Témoingnage #2 Genie.ch (Romain Ferrari)
------------------

Témoignages Genie.ch - Propos reccueillis par Caroline Dallèves - République et Canton de Genève

Partager :
3046
Auteur de la page

Webmaster

Membre du comité d'animation GENIE.ch

Modérateur

Rédaction