[Entretien avec Daniel Chambaz] – Retour sur plus de vingt années à promouvoir la durabilité

A la tête du Service cantonal de gestion des déchets (aujourd’hui intégré au GESDEC) entre 1999 et 2006 puis de l’Office cantonal de l’environnement (OCEV) pendant quinze ans, Daniel Chambaz est une figure incontournable du virage opéré à Genève en matière de durabilité. Co-fondateur de la plateforme Genie, aujourd’hui Conseiller scientifique au service de l’Etat de Genève, nous lui avons demandé de partager son point de vue sur plus de deux décennies dédiées à l’évolution des pratiques et des mentalités.

« Les objectifs sont  posés. Il reste à les atteindre. »

La perception des questions environnementales a évolué au cours des vingt dernières années. Quel regard portez-vous sur ce changement ?

Tant la population que la plupart des entreprises genevoises sont devenues très conscientes des enjeux écologiques. C'est dû aux informations reçues du monde académique, à la mobilisation des ONG, aux premiers signes de dérèglement climatique et écologique, mais aussi à l'action déterminée des acteurs publics (canton, communes, SIG) qui consacrent des moyens importants en comparaison inter-cantonale aux programmes environnementaux, tout ceci relayé abondamment par les médias.

D'un autre côté, force est de constater que nous n'avons pas vraiment modifié nos comportements individuels. Nous prenons toujours autant l'avion, mangeons toujours autant de produits laitiers et carnés, avons le plus grand parc de SUV de Suisse ainsi qu'une augmentation exponentielle de la consommation digitale. Nos émissions de gaz à effet de serre ne diminuent pas à la vitesse nécessaire, sans parler de l'usage des ressources, de la biodiversité et des diverses pollutions causées à l'échelle planétaire par notre mode de vie.

Il faudrait consacrer une seconde interview à l'analyse des causes de cette dichotomie et aux moyens de surmonter les barrières psychologiques qui nous empêchent d'évoluer dans le bon sens. La place manque ici.

Vous avez dirigé le Service cantonal de gestion des déchets entre 1999 et 2006. Sachant que les capacités des Cheneviers vont être réduites et que la taxe au sac n'a pas été introduite, est-ce que l'on peut dire que le canton a atteint ses objectifs ?

Oui, c'est un domaine qui a vraiment bien marché. Nous avons multiplié les infrastructures de collecte et consacré un million de francs par année à la sensibilisation et à la formation dans les écoles. Cette dernière était très importante, les enfants éduquant à leur tour les parents. Les entreprises n'ont pas été oubliées. Des programmes spécifiques leur ont été consacrés branche par branche. Avec aujourd'hui 50% de tri des déchets urbains, nous sommes peu ou prou dans la moyenne suisse, sans avoir eu besoin de recourir à la taxe poubelle, ce dont je suis personnellement très fier. Néanmoins l'effort continue et je ne doute pas que la nouvelle usine absorbera sans peine ce qui restera encore à incinérer lorsqu'elle entrera en fonction.

L'Etat et les communes travaillent aujourd'hui sur la lutte à la source, avec notamment la question des plastiques à usage unique que la nouvelle loi bannira de la restauration à l'emporter pour le plus grand bien de la nature. N'oublions pas non plus les masses gigantesques de déblais et autres déchets de chantier qui remplissent chaque année une file ininterrompue de camions, pare-choc contre pare-choc, allant de Genève à Berlin. Le programme EcomatGE développé avec la profession a pour objectif de booster la valorisation de ces matériaux qui sont à peu près tous recyclables.

A la tête de l'OCEV pendant 15 ans, vous avez accompagné le virage environnemental et climatique, devenu priorité politique. Comment résumer ce virage ?
Quand le Grand-Conseil vote à l'unanimité les objectifs climatiques, quand le Conseil d'Etat entend consacrer CHF 6 milliards à la transition écologique, quand l'écologie industrielle est introduite dans la Constitution, c'est bluffant ! Et c'est le résultat d'années de travail acharné, dans l'ombre, de centaines de collaboratrices et de collaborateurs. Pour autant, il faut rester modeste. Les objectifs sont posés. Il reste à les atteindre.

Aujourd'hui, est-ce que durabilité rime avec circularité?
Tout le monde a bien compris que la circularité est incontournable dans un monde aux ressources limitées. Pourtant à long terme, cela ne suffira pas pour éviter de les épuiser. En effet, tant que l'on fabriquera plus de matériel que ce que l'on démolit et peut recycler, il faudra quand même de nouvelles ressources pour compléter les besoins. C'est mathématique ! C'est pourquoi la sobriété est tout aussi incontournable et il faudra bien un jour s'en convaincre. C'est la grande "victoire" qui reste encore à obtenir, même si l'Office de l'environnement a produit de très belles choses toutes ces années durant lesquelles j'ai eu le privilège de le diriger.

Vous demeurez Conseiller scientifique au service de l'Etat de Genève. Quels dossiers avez-vous encore sur le feu?

Je mène deux projets en lien avec la transition écologique, l'un sur la mine urbaine, c'est-à-dire la valorisation accrue des métaux contenus dans nos déchets, par exemple les mâchefers issus de l'incinération des ordures, l'autre sur les changements de comportement en utilisant les sciences cognitives pour rendre notre sensibilisation plus efficace. A ce sujet, je renvoie à la première question de cette interview. J'assure aussi le suivi de quelques dossiers de type "serpent de mer" qui ne seront probablement pas terminés quand je tirerai définitivement ma révérence à fin 2023.

 

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Auteur de la page

Sébastien Bourqui

Genie.ch