[Entretien - Claude Devillard, Devillard] - «Nous voulons maintenir nos produits en parfait état de fonctionnement le plus longtemps possible »

[Entretien - Claude Devillard, Devillard] - «Nous voulons maintenir nos produits en parfait état de fonctionnement le plus longtemps possible »

Privilégier l’usage d’un bien plutôt que sa possession ? C’est ce que préconise l’économie de la fonctionnalité*. Corollaire : le fournisseur a tout intérêt à ce que la durée de vie de ses produits soit aussi longue que possible. La durabilité est donc au cœur de cette pratique qui comporte d’importants avantages environnementaux : moins de biens sont produits, donc moins de ressources sont utilisées.

Ce modèle présente aussi des avantages économiques (le client a généralement des produits à la pointe et correspondant à ses besoins ; pour le fournisseur, cela permet de tisser des liens privilégiés avec ses clients). La société Devillard, active dans les solutions documentaires (imprimante, scannage, gestion électronique des documents, réseaux informatiques, etc.), applique ce concept depuis plus de 25 ans.

Interview avec Claude Devillard, le directeur commercial de cette PME de 110 collaborateurs.

-Votre approche place la fonctionnalité au centre de votre modèle d’affaires…

-Claude Devillard. Oui, c’est dans notre philosophie et nous appliquons cette pratique au quotidien. Indépendamment de l’achat ou de la location, cet accent sur la fonction est surtout en lien avec notre système des contrats de maintenance. Il y a chez nous une volonté très forte de maintenir le bien en parfait état de fonctionnement le plus longtemps possible, ce qui implique une composante humaine forte. Nous en avons même fait notre caractère distinctif. Nombre de nos clients, qu’ils désirent acheter ou louer du matériel, bénéficient d’un contrat de maintenance. Conséquence : nos machines durent plus de 10 ans, ce qui n’est pas la norme dans cette branche, où elles sont utilisées en moyenne 5-6 ans.

-Pour quelle raison avez-vous décidé de mettre en place un tel système?

- C.D. Nous avons constaté que les clients s’équipaient avec du matériel et que peu de temps après, leurs besoins avaient évolué. Leur matériel n’était donc plus adapté. Quand ils devaient le remplacer, ce n’était jamais intéressant pour eux, car la valeur marchande qu’ils en retiraient était très faible. Nous avons alors décidé d’établir des contrats de location : quand le client veut changer, il le peut. Mais il accepte aussi qu’une machine ait déjà eu une vie précédente. Dans notre domaine, les entreprises grandissent et les modèles d’affaire changent : à nous de chercher à être en adéquation constante avec leurs besoins.

-Raisonner en termes de fonctionnalité, c’est chercher à satisfaire des besoins préalablement identifiés. Encore faut-il les connaître avec précision. Comment vous y prenez-vous ?

- C.D. Il est indispensable d’avoir un entretien approfondi au préalable avec le client. Si une personne veut passer par nous sans prendre le temps d’un entretien approfondi, nous refusons de conclure l’affaire, car nous sommes sûrs qu’il y aura une déception. Nos appareils ont tellement de fonctions différentes, qu’il est important de trouver celui qui correspond le mieux aux besoins du client.

Il faut aussi parfois guider ce dernier, car il ne nous donne pas toujours de prime abord la bonne réponse, ne connaissant pas forcément ce dont il a vraiment besoin : nous devons donc l’aider à approfondir sa réflexion. Raison pour laquelle ces entretiens peuvent durer 1 heure, voire 1 heure et demie.

-Un des obstacles à l’économie de fonctionnalité tient au fait qu’elle exige un investissement initial important pour l’entreprise qui a adopté ce mode de fonctionnement. Comment est-ce que cela se traduit-il chez vous ?

- C.D C’est vrai, nous devons commencer par acheter des machines, ce qui représente une importante dépense alors que nous les mettons ensuite en location, et sommes donc payés par mensualités. Le temps de l’entretien de départ constitue aussi un investissement. Nous prenons plus de temps pour conclure une affaire, mais ensuite comme le client n’est pas déçu, sa fidélité est plus grande.

-Quels conseils donneriez-vous à une entreprise qui désirerait recourir à ce type de modèle d’affaires?

- C.D Constamment chercher à être le plus proche possible des besoins du client car il est difficile de faire des plans sans savoir comment le client utilise le matériel. L’entreprise ne devrait pas s’arrêter à la première difficulté et se creuser la tête pour aider son client dans ses choix, en déterminant avec lui ce dont il a vraiment besoin. L’écoute est donc très importante. Ensuite, les réponses diffèrent évidemment selon le domaine d’activités.

-Dans un autre registre, vous avez mis en place une organisation des transports un peu différente de ce qui se fait ailleurs.

- C.D C’est vrai que nous avons optimisé les transports et les trajets de nos employés. Comme pour toute entreprise avec beaucoup de personnel dans le service après-vente, il est important de ne pas faire des allers-retours inutiles. Nos collaborateurs ne passent plus aussi souvent à l’atelier qu’avant, ils ne viennent en général que lorsqu'ils ont besoin de chercher des pièces de rechange manquantes. Nous avons mis en place tout un système de gestion des déplacements, qui revêt un intérêt écologique et économique : nos employés passent ainsi beaucoup moins de temps dans les bouchons !

-Entreprenez-vous d’autres actions en matière d’environnement ?

- C.D Oui. A l’interne, nous avons remplacé les quelque 600 ampoules de notre siège genevois par des modèles LED. Nous avons également fait poser des mousseurs sur nos robinets afin d’économiser de l’eau. Nous encourageons nos collaborateurs à privilégier la mobilité douce et recyclons un maximum de matériaux.

-Et sensibilisez-vous vos clients ?

- C.D Nous essayons de les faire économiser du papier. Etant des spécialistes du document, nous travaillons beaucoup sur le scannage et sur les flux de documents dans l’entreprise. Nous essayons de voir comment travaille le client et lui donnons souvent des idées pour montrer comment éviter les impressions. Par ailleurs, nous avons mis en place un système de recyclage des cartouches de toner en collaboration avec les EPI**. Ainsi nous évitons aussi le gaspillage des contenants!

-N’est-ce pas contreproductif pour vos affaires d’inciter vos clients à imprimer moins ?

- C.D Non, et il est important de leur montrer comment imprimer moins. Nous pouvons sortir du mode de consommation maximum, tout en maintenant une bonne santé économique de l’entreprise, car nous vivons beaucoup du conseil et de licences. Il faut vivre avec son temps ! Et c’est de notre responsabilité de chef d’entreprise que de nous préoccuper de l’environnement dans lequel nous vivons.

 

* En d’autres termes, l’économie de fonctionnalité est un modèle d’affaires qui consiste à vendre l’usage d’un objet (autrement dit, sa fonction) aux clients plutôt que l’objet lui-même. Exemple : Vous avez besoin d’un vélo ? Vous avez le choix entre l’acheter ou le louer. Dans le premier cas, vous serez le seul à le posséder. Le fournisseur a alors comme objectif économique que vous le renouveliez fréquemment avec, comme impact environnemental, une multitude de vélos obsolètes. Si au contraire vous décidez de le louer, vous le partagerez avec d’autres personnes. Le fournisseur aura pour objectif économique de le conserver en bon état et de le réparer. L’impact environnemental sera donc beaucoup plus faible, car il y aura moins de vélos produits, et ceux-ci seront plus solides.

** Découvrez plus d'informations sur ce projet ici

Entretien et rédaction réalisés par Aline Yazgi pour l'équipe Genie.ch.

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Rédaction